Sainte Hildegarde, une abbesse indépendante et originale à forte personnalité

La première chose à savoir lorsqu’on parle de sainte Hildegarde de Bingen, est qu’elle a été abbesse, dans un couvent de taille modeste, dans la période du Haut Moyen-Age, au douzième siècle.

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Une éducation simple et le choix de la vie religieuse

 

Hildegarde naît en Rhénanie en 1098. Elle est la dixième enfant de ses parents, Hildebert et Mechtilde, qui appartiennent à la noblesse locale.

Comme cela se faisait généralement pour l’éducation des jeunes filles nobles, Hildegarde est confiée à l’âge de 8 ans aux soins de Jutta de Spanheim. Cette femme, d’origine noble elle aussi, vivait en tant que religieuse dans le monastère de saint Disibode, le Disibodenberg. Ce monastère était double, c’est-à-dire qu’il abritait une communauté féminine et une communauté masculine.

Jutta enseigne à Hildegarde les psaumes et les principaux livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cet apprentissage était probablement basé sur une forte mémorisation des textes, car Hildegarde déclare plus tard qu’elle sait lire, mais ne connait pas l’interprétation des mots, ni l’emploi des cas et des temps. Son utilisation du latin restera toujours approximative et suscitera dans les siècles suivants des moqueries à l’encontre de cette langue grossière. Aux côtés de Jutta, Hildegarde apprend également à jouer du décacorde, un instrument utilisé au XIIème siècle pour accompagner les psaumes.

A cette époque, la majorité pour les filles se situait à 12 ans (et à 14 ans pour les garçons), et c’est vers 14 ou 15 ans qu’Hildegarde prononce ses vœux pour devenir elle aussi religieuse au Disibodenberg. La règle suivie dans ce monastère est la règle bénédictine.

En plus d’une vie cloîtrée, c’est-à-dire que les religieuses ne sortent pas ou peu du couvent, les adeptes de la règle bénédictine voient leur journée et nuit marquées par les offices des heures canoniales. Ainsi, les religieuses chantent les psaumes à 8 reprises dans la journée : durant les laudes au moment du lever du soleil, pendant l’office de prime à la première heure, puis elles suivent généralement la messe avant le petit déjeuner, célèbrent l’office de tierce vers 8 heures, sexte vers 11 heures, none vers 14 heures, vêpres vers 18 heures, complies au moment du soleil couchant, et finalement, matines peu après minuit.

C’est en 1136 qu’Hildegarde est élue abbesse du Disibodenberg par les autres religieuses suite au décès de Jutta.

 

Sainte Hildegarde, une mère spirituelle au rayonnement important

Le rôle d’une abbesse est avant tout de servir de guide et de mère spirituelle pour les religieuses à sa charge. Et ce rôle de mère spirituelle, sainte Hildegarde ne l’a pas eu que pour ses filles du couvent, mais également pour un large nombre de fidèles, comme en témoigne son abondante correspondance.

Elle écrit tout naturellement à d’autres abbesses et religieux, pour demander ou donner des conseils et pour se soutenir dans la prière. Elle correspond avec saint Bernard de Clairvaux, avec différents papes, avec l’empereur Frédéric Barberousse et d’autres rois et reines à travers l’Europe, mais elle échange également des lettres avec de simples moniales ou laïcs, comme une certaine Sybille, « femme mariée de Lausanne ».

La richesse et la diversité de la correspondance de Sainte Hildegarde montrent l’étendue de sa renommée, mais également son influence. Dans de nombreux courriers lui étant adressés, on voit des demandes de conseils, de prière et de guérison, mais on lui demande surtout de communiquer ce que Dieu et l’Esprit Saint en particulier, ont à dire à la personne en question.

Hildegarde se dit en effet inspirée par Dieu, et les images qu’elle emploie, les visions qu’elle raconte, et la teneur toute entière de son discours sont tels que tous lui reconnaissent cette mission de porte-parole de Dieu et attendent que l’abbesse les guide.

 

Une abbesse originale et proche de ses religieuses

Ce rayonnement et cette renommée à travers l’Europe entière sont d’autant plus étonnants que sainte Hildegarde passe la grande majorité de sa vie à l’intérieur de son couvent. Et c’est là qu’elle guide en particulier ses « chères filles ». Elle n’accepte dans son monastère que des jeunes filles nobles, afin de ne pas engendrer de discorde et d’orgueil liés aux différences de rang social. On peut supposer qu’elle avait une relation très proche avec chacune des religieuses dont elle avait la charge, de par leur petit nombre (entre 18 et 20), et de par ce qu’elle en dit dans certains écrits. Certains pensent même qu’elle avait appris à ses religieuses la lingua ignota, une langue de son invention, pour resserrer les liens qui les unissaient les unes aux autres.

Sainte Hildegarde semble avoir eu le don de discerner les pensées secrètes et les envies de chacun, et elle s’en sert pour essayer de diriger ses filles dont elle remarque à un moment que certaines « sont prises des divers travers de la vanité ». Parmi les jeunes filles du couvent, il y en a une à laquelle sainte Hildegarde s’attache tout particulièrement. Il s’agit de Richardis, fille de la marquise de Stade, et qui a vraisemblablement servi de secrétaire à l’abbesse. Elle apparaît à ses côtés sur une des miniatures du manuscrit de Lucques. Richardis est cependant élue abbesse d’un autre couvent en 1151, et on voit dans un échange de lettres à quel point cette séparation a été douloureuse pour les deux femmes dont le tempérament était si accordé.

Les choix que fait l’abbesse pour sa communauté peuvent surprendre car ils sont parfois très originaux, on retient par exemple le fait que lors des fêtes religieuses, elle faisait chanter ses filles dans l’église avec les cheveux dénoués sous un voile soie, des couronnes tressées sur la tête et des anneaux dorés aux doigts. L’explication de cette pratique, qu’elle donne dans une lettre, est que les religieuses sont les épouses du Christ et doivent donc lui plaire, notamment lors des fêtes. De même, on sait également qu’elle a composé ce qu’on pourrait appeler un drame musical, L’Ordo virtutum, qu’elle aurait fait chanter, mais aussi jouer sous forme de pièce de théâtre à ses religieuses, probablement avec des costumes.

 

Fondation d’autres monastères et choix de l’indépendance

Cette décision peu commune montre à quel point sainte Hildegarde avait un esprit indépendant, qui se voulait guidé par Dieu plus que par les conventions. C’est également ce qu’on retrouve lorsque vers 1148 elle veut quitter le Disibodenberg pour aller s’établir dans le couvent de saint Rupert situé à Bingen. Ce déplacement, suggéré par Dieu, engendre de grandes oppositions de la part de la communauté masculine de saint Disibode. L’abbesse demande cependant l’autorisation aux autorités ecclésiales et même au pape, qui tous, vont accepter.

Une fois les travaux d’aménagement du nouveau monastère terminés, sainte Hildegarde a à cœur de garantir l’indépendance de son couvent afin de limiter l’intervention de la communauté de saint Disibode dans leurs affaires internes, ainsi que celle d’un avoué laïc. Encore affaiblie par une maladie, elle fait divers voyages pour acheter la terre et les droits qui y sont associés. Elle obtient donc l’indépendance économique du monastère en procédant à un échange et achat de terres ainsi qu’à la signature d’un contrat avec les moines de saint Disibode pour confirmer qu’ils ne gèreront plus les biens de la communauté féminine. L’abbesse obtient également une indépendance spirituelle en exigeant qu’un prieur et directeur spirituel leur soit toujours envoyé, elle fait aussi garantir le droit pour les religieuses d’élire librement leur mère supérieure. Finalement, voulant aller jusqu’au bout des choses pour avoir une indépendance totale, sainte Hildegarde s’attache la protection de l’évêque de Mayence, puis celle de l’empereur Barberousse pour garantir une sécurité militaire à son couvent, chose indispensable en ce temps-là. Sainte Hildegarde conserve comme lien avec son ancien monastère le respect de la tradition bénédictine.

Elle fondera deux autres couvents de son vivant, dont celui d’Eibingen, qui est le seul encore debout aujourd’hui.

 

 

Sainte Hildegarde, une religieuse aux prêches enflammés

Jouissant d’une renommée toujours plus grande, sainte Hildegarde est amenée à faire plusieurs voyages vers la fin de sa vie, pour donner des prêches dans les différents endroits qu’elle visite. Très remarqués, les sermons qu’elle donnent nous sont parvenus car une trace écrite en a été demandée à plusieurs reprise par les religieux des villes où elle s’était rendue. Elle exhorte les fidèles à rester fidèles à Dieu et met également un accent très marqué sur l’importance du corps et de son lien avec l’âme. Une injonction essentielle face à l’hérésie cathare qui se développe. Son rôle de guide spirituel s’étend donc au-delà de son couvent ou des dirigeants, et s’adresse directement au peuple.

Depuis son arrivée à saint Rupert, il faut également noter que le monastère est constamment assailli de pèlerins désirant obtenir une bénédiction, une guérison ou un conseil de l’abbesse. Son biographe dresse une liste des guérisons qu’elle a opérées, comme le recouvrement de la vue, une guérison de la fièvre ou de convulsions, ou même des conseils donnés pour un exorcisme.

Une femme active et résolue jusqu’à la fin

Les dernières années de la vie de sainte Hildegarde sont marquées par un événement malheureux : sa communauté fait enterrer dans le cimetière un homme qui avait été excommunié mais s’était réconcilié avec l’Eglise par la suite. Mal informées, les autorités locales lui demandent d’expulser le mort du cimetière, ce qu’elle refuse et ce qui conduit à la mise en place d’un interdit sur le couvent, c’est-à-dire que les religieuses n’ont plus le droit de chanter leurs offices mais doivent les murmurer, et elles ne peuvent plus avoir accès à l’eucharistie.

Cruelle punition pour sainte Hildegarde qui considérait la musique comme l’une des meilleures façons de célébrer Dieu. Elle va donc écrire de nombreuses lettres, à des évêques et même au pape jusqu’à ce que la situation soit éclaircie.

Elle meurt peu de temps après, en octobre 1179, entourée par ses filles, et laissant derrière elle toute la consignation écrite de ses visions et révélations.

 

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HDB UNE CONSCIENCE INSPIREE DU XIIEME S

HILDEGARDE DE BINGEN – VANNIER M-A

 

Bibliographie

La vie de sainte Hildegarde, édition Cerf, 2000

Hildegarde de Bingen, conscience inspirée du XIIème siècle, Régine Pernoud, édition du Rocher, 1994

Hildegarde de Bingen, Heinrich Schipperges, éditions Brepols, 1996

Hildegarde de Bingen : une vie, une œuvre, un art de guérir en âme et en corps, Ellen Breindl, édition Dangles, 1994

La Sibylle du Rhin, Sylvain Gouguenheim, édition de la Sorbonne, https://books.openedition.org/psorbonne/24211

La symphonie des harmonies célestes, présenté par Rebecca Lenoir, éditions Jérôme M

 

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